Rapport scientifique

Bernard TAILLIEZ, Docteur ès Sciences en Chimie Organique, expert auprès du Tribunal de Grande Instance d’Aix en Provence, et Gérant du laboratoire indépendant ANALYTIKA communique ci-dessous ses conclusions scientifiques quant à la nature exacte de la cargaison TotalFina embarquée dans les cuves de l’Erika à la Raffinerie de Dunkerque.

Un grand nombre d’échantillons représentatifs des rejets de la cargaison du pétrolier Erika ont été expertisés à ce jour par ANALYTIKA, respectivement prélevés à Groix, en divers sites à Belle-Ile-en-Mer (sous contrôle d’huissier pour le compte de l’Association Avenir de Sauzon) et en mer à la verticale de l’épave (sous contrôle d’huissier pour le compte de Paris-Match).

Il ressort de ces travaux que les rejets étudiés sont bien des résidus de distillation pétrolière et qu’ils ne présentent aucune des  caractéristiques de viscosité, de composition, de distribution de composition,  de pouvoir calorifique, qui permettraient de les ranger dans la catégorie des combustibles de basse qualité d’appellation “fuel lourd n°2” ou “Bunker C”.

Nous apportons aujourd’hui la preuve scientifique permettant de démontrer que 120 tonnes d’un additif chloré (surfactant cationique) ont été délibérément ajoutés à la cargaison de l’Erika au moment du chargement, en vue de réduire artificiellement la viscosité et l’adhérence aux parois métalliques de ces résidus pétroliers lourds.

De nouvelles conséquences légales.

Aucune dérogation n’ayant été accordée par le Ministère de l’industrie (Direction des Carburants) à TotalFina pour l’utilisation de cet additif, la présence de ce produit (chlorure de dimethyl, nonyl / decyl benzalkonium) dans la cargaison de l’Erika constitue une falsification délibérée de marchandise.

ANALYTIKA a donc décidé de confier à l’ABE (Association des Bénévoles de l’Erika) le soin de mettre en oeuvre toutes actions légales découlant de notre découverte, et s’engage à soutenir toute action en justice qui pourra s’avérer nécessaire, en fournissant à toutes juridictions compétentes en émettant le désir, en France ou en Europe, les preuves scientifiques déjà réunies.

De nouvelles conséquences environnementales.

Les propriétés -résumées ci-dessous- de cet additif illégal nous imposent d’attirer l’attention des organismes de recherche scientifique et des autorités de surveillance, face aux conséquences environnementales nouvelles de cette cargaison falsifiée, répandue sur le 450 km du littoral francais breton et vendéen .

- TENSIO-ACTIF et SURFACTANT
La présence de ce produit tensio-actif (à une teneur estimée à 3000 ppm) dans la cargaison de l’Erika confère à celle-ci des caractéristiques tout à fait différentes de celles d’un fuel lourd n°2 non falsifié, en particulier du point de vue de sa distribution dans la colonne d’eau (il y forme des émulsions très stables) et de sa bio-disponibilité -beaucoup plus grande de prévisible pour un fuel lourd n°2 non falsifié.
La présence de cet additif explique par ailleurs l’échec des moyens techniques Polmar pour le confinement et la récupération après le naufrage, et pourquoi les techniques classiques (chauffage à la vapeur d’eau) -mises en oeuvre pour récupérer le fuel lourd n° 2 du “Tanio” en 1980- n’ont pas pu être appliquées pour récupérer la cargaison restant dans les cales des épaves de l’Erika, et pourquoi il aura fallu six mois aux ingénieurs de TotalFina pour mettre au point la méthode supposée adéquate.

- BIOCIDE, BACTERICIDE, ANTIVIRAL
Cet additif est un biocide extrèmement puissant, (utilisé en particulier en pisciculture pour l’éradication des moules zébrées et le contrôle de la prolifération du plancton, à des teneurs très faibles de 0.5 à 0.8 ppm).
Les doses léthales vis à vis des espèces marines étudiées (publiées en 1997 par l’Aquatic Animal Health Research Institute de Bangkok) s’établissent entre 2 et 3 ppm.
Ce produit cytotoxique puissant est d’ailleurs utilisé dans la formulation des peintures marines anti-fouling.
Les conséquences écologiques induites par la pollution de 450 km du littoral français à la suite du naufrage de l’Erika sont donc considérablement aggravées par la présence de cet additif illégal dans la cargaison pétrolière.
En particulier en ce qui concerne les activités de pisciculture et conchyliculture
.

- IRRITANT CUTANE
Cet additif présente par ailleurs une toxicité humaine très préoccupante, en particulier à cause de ses propriétés irritantes pour la peau, les muqueuses en général et les yeux en particulier (risques de conjonctivite).
Les études scientifiques existantes démontrent que le produit diffuse dans le foie et les poumons.

- CORROSIF VIS A VIS DES METAUX
Cet additif est utilisé dans la formulation de nombreux réactifs de gravure chimique des métaux.
Il conviendra donc d’étudier avec attention le rôle joué par cet additif illégal dans la corrosion de la structure métallique de la coque de l’Erika, ayant abouti au naufrage.

- MOLECULE CHLOREE
La présence de cette molécule chlorée dans la cargaison restante de l’Erika, dont TotalFina envisage pourtant l’incinération au Havre, démontre le niveau de conscience environnementale du fleuron de l’industrie pétrolière francaise…
 
 

Bernard TAILLIEZ
Docteur ès Sciences en Chimie Organique
Expert auprès du TGI d’Aix en Provence
Gérant du Laboratoire ANALYTIKA
 Cuers, le 12 juillet 2000

 

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